IL EST URGENT DE VOYAGER
Faut-il arrêter de voyager au nom de l'environnement et pour le bien de tous? Appliquer des urgences globales sur des réalités locales est-il vraiment pour le bien de tous?
VOYAGES & TOURISME
LLe titre peut sembler provocateur et être un affront pour la cause environnementaliste pourtant il n'en est rien.
Il est réellement urgent de voyager pour sauver l'humanité. Comme à chaque thématique faisant débat, il nous est souvent proposé un seul axe autour duquel s'articule arguments et contre-arguments, autour duquel se greffent d'autres problématiques.
Une fois n'est pas coutume, je propose donc d'aborder la thématique voyage-climat-environnement sous un autre angle.
Tout d'abord, beaucoup des revendications écologistes se cristallisent essentiellement sur le climat, minimisant ainsi la préservation de la biodiversité. Aujourd'hui, lorsque nous évoquons l'environnement, seul le climat semble avoir la part belle dans nos échanges. Etant moi-même partisane de la préservation de la biodiversité et de l'environnement et aimant que dis-je, adorant voyager, je me suis retrouvée devant ce douloureux dilemme : Continuer de voyager ou me sacrifier pour le bien de tous. Car il est tacitement admis que le Climat et la préservation de l'environnement est l'affaire de tous, sans limite géographique aucune. Les conséquences de nos inconsciences et actes se répercuteront négativement sur le monde entier.
Donc les leitmotivs entourant les aspirations climatiques et environnementales résident dans ces deux termes : IL EST URGENT ET POUR LE BIEN DE TOUS. Ce sont surtout, sur ces mots impérieux qui sonnent comme des ordres, que j'ai décidé de m'attarder pour prendre ma décision. J'ai finalement décidé de continuer de voyager.
Il est donc urgent de voyager pour relativiser ce que nous appelons "URGENCE'. Car ce qui vaut pour un pays ne vaut pas forcément pour un autre pays. Voyager pour réaliser que ces urgences ne peuvent être transposées d'un point du globe à l'autre. Des réalités locales surpassent ces urgences. Les effets de surconsommation des pays occidentaux et les questions de pauvreté dans les pays du sud sont interreliés et doivent être appréhendées de façon consubstantielle pour donner à l'urgence environnementale et climatique sa place universelle. Ici, il est question de se décentrer, de sortir de notre enclos idéologique et mental, d'élargir notre focale afin d'avoir une vue à 180° pour identifier, clarifier les réels enjeux et envisager des actions durables. Or nous appliquons le schéma inverse, en instaurant des urgences globales sur des réalités locales différentes dont l'urgence, comme celle de sortir de la misère est prépondérante et prévaut sur tout le reste, y compris l'urgence climatique. Il est donc urgent de voyager pour relativiser ce qui est nommé"urgence" et pour ainsi envisager des solutions qui ne seront pas seulement vues à travers notre seul prisme.
DES URGENCES GLOBALES SUR DES RÉALITÉS LOCALES
VOYAGER LOCAL, OK MAIS POUR MIEUX SE REPLIER SUR SOI?
Quant à l'idée de privilégier le voyage local, bien que l'idée soit généreuse, elle ne s'ancre pas, selon moi, dans l'idée de VIVRE AUTREMENT.
Loin de nous ouvrir au monde, nous souhaitons nous replier sur nous-mêmes. Alors qu'initialement, le voyage permettait le recentrage sur soi, aujourd'hui, le tourisme favorise la prépondérance de l'égo et du paraitre. Il y a donc avant tout un changement de mentalité, un regard sur soi et un rapport de soi à soi à réactualiser, à travailler au risque de voir le concept du voyage local se convertir en nombrilisme démesuré, voire chauvin. Si beaucoup déplorent que voyager à des millions de kilomètres de chez soi ne remise pas pour autant nos vieilles habitudes, ni ne reconfigure notre capital ouverture et tolérance, comment voyager local pourrait-il nous aider? Alors certes, économiquement parlant et au nom de la préservation de l'environnement et du climat, nous bottons en touche (enfin, nous en sommes convaincus mais seul l'avenir nous le dira).
Mais l'homme dans sa spécificité, n'est pas fait de climats, de biodiversité, de capital. L'humain se constitue à partir d'échanges qui le confrontent à son intériorité, à d'autres réalités, à ses propres fonctionnements et dysfonctionnements. L'ouverture à l'autre est impérieuse pour accéder à la plus haute marche du respect, de la compréhension de l'autre et du mode de fonctionnement de l'autre.
Et cela ne demeure possible qu'en sortant de notre microcosme. En effet, s'il est admis que nous devons changer de paradigme pour que cette société évolue sous d'autres ou meilleurs auspices, cette idée de voyager exclusivement local me semble dangereuse car plus que jamais nous avons besoin de diversité pour nous appuyer sur d'autres schèmes. Il est urgent de voyager pour se pas s'enfermer dans nos propres conditionnements, limites géographiques, mentales, intellectuelles. Ainsi, nous enrichissons le monde au lieu de le segmenter et de le hiérarchiser.
LE BIEN DE TOUS, INDIVIDUATION ET INDIVIDUALISME
Enfin, il s'agira de repenser l'individuation et l'individualisme dans notre société actuelle.
LE BIEN DE TOUS, voilà un argument percutant qui à chaque fois fait son petit effet et nous inscrit dans une logique globalisante et collective. En donnant une pâtine universelle à l'URGENCE, nous sommes tous inscrit d'emblée à la même enseigne et tous plongés dans le même bain collectif de culpabilisation. Ainsi, mus par cet universel besoin et bien, il serait mal vu d'y déroger.
Pourtant tous les voyageurs ne sont pas à mettre dans le même panier. Il est donc urgent de voyager pour se libérer du joug de la culpabilité que font peser sur nous tous, sans distinction aucune, ceux-là même qui participent sciemment ou pas à la dégradation de l'environnement. Il nous incombe de ne prendre sur nos épaules que la responsabilité individuelle de nos choix. On parle alors de cohérence afin d'éviter de naviguer à vue, d'être ballotté par les aspirations, exigences etc d'autrui.Des voyageurs qui doivent supporter l'indue responsabilité de l'irresponsabilité des autres mais également des préjudices portés à l'environnement par des firmes transnationales et compagnies aériennes. Avant d'avoir une responsabilité collective, nous devons chacun nous responsabiliser individuellement.
POUR LE BIEN DE TOUS: La préservation de l'environnement s'est construite sur cet axiome. Vraiment le bien de tous? Des sites naturels transformés en parcs, des populations locales chassées, ghettoîsées et converties en nouveaux pauvres, des communautés locales déstructurées? J'ai beaucoup de mal avec le "pour le bien de tous".
A moins que le bien de tous se réduise à notre petit monde. Alors que de plus en plus, il est question de rationner l'énergie et d'instaurer une "carte carbone" pour chaque habitant, et ceci une fois de plus au nom du bien commun, peut-on déjà se projeter sur ceux et celles qui pourront d'ores et déjà, déroger à la règle? Le marché du carbone n'est il pas déjà un filon outrancièrement exploité par les entreprises? Les Crédits carbone ont-ils participé à diminuer les émissions de Gaz à effet de serre? Pour le bien de tous et le bien commun dans une société individualiste et mercantile telle que la nôtre ressemble plus à une condamnation pour certains. Il ne s'agit pas de prôner l'individualisme mais de repérer les constantes et les limites de ce leitmotiv.