ARTISANAT : BIJOUX TOUAREGS
ART
« Au bout de la patience, il y a le ciel, disent les Touaregs, nomades épris d’espace et de liberté, sages seigneurs du désert enveloppés d’épais voiles indigo qui les protègent du soleil et du vent. Les bijoux qu’ils cisèlent dans l’argent, métal du prophète, symbole de la pureté, ont l’élégance et la simplicité de ce peuple. »
LES BIJOUX TOUAREGS UNE AUTRE EXPRESSION DU « BEAU »
Derrière les hommes bleus, se cache pour les non- initiés que nous sommes, une aura mystérieuse qui nous semble impénétrable. Ceci tient en partie à l’essence de leur culture, la relation qu’ils entretiennent avec la nature, le bétail, le cosmos.
Détournés depuis longtemps de ces simples éléments, nous pouvons éprouver quelques difficultés à comprendre la simplicité d’une part et la complexité d’autre part qui tissent les liens entre les Touaregs eux-mêmes, entre les Touaregs et leur environnement. Mais, ils nous laissent parfois, tel des empreintes dans le désert, quelques indices pour lever
le voile sur les secrets des « Kel Tamasheq » ou peuple de langue Tamasheq. Pour nous laisser approcher l’inaccessible, ils mettent à notre disposition une part de leur philosophie de vie, de leur histoire, de leur culture et ceci grâce à leur artisanat.
Je vous propose donc de découvrir l’importance que revêt les bijoux dans la culture Touarègue. Chaque bijou créé est un condensé d'histoire et un reflet de leur environnement.
Dans la création d’un bijou, tout a son importance : du matériau choisi, à la technique, les motifs jusqu’aux outils, rien n’est laissé au hasard et participe à dessiner en filigrane les conceptions Touarègues.
A travers cette incursion dans le monde artisanal Touareg, nous élargirons le champ sémantique de l’esthétique, de la richesse bien différente et éloignée de la nôtre.Dans l’artisanat Touareg, la confection des bijoux est essentiellement affaire d’ hommes. Les femmes, elles, travaillent le cuir et la maroquinerie.
Depuis la nuit des temps, les Touaregs forgent les métaux précieux. Pour beaucoup d’entre nous, porter un bijou a une valeur ornementale et est considéré comme accessoire. Il n’en est pas de même chez les Touaregs où le bijou est un vecteur de culture et d’identité qui s’ancre dans des héritages traditionnels profonds.
Il est relativement rare d’apercevoir hommes, femmes et enfants Touaregs sans bijoux : parures, pendentifs, bracelets, bagues boucles d’oreille, croix (Zakkat) parent les Touaregs de tous âges.
Les Touaregs considèrent les bijoux comme un symbole de richesse, richesse qui
réside avant tout dans le savoir-faire et la transmission des techniques ancestrales.
Richesse culturelle et identitaire puisqu’une fois forgés, les bijoux deviennent des marqueurs d’identité représentant une appartenance à une famille, à une tribu. La société Touarègue étant organisée en société de classe, certains symboles déterminent ainsi un statut social ou un rang.
Les bijoux servent également à estampiller et immortaliser les périodes importantes qui seront souvent l’occasion de célébrations : naissance, mariages etc.
Mais l’importance du bijou chez le Touareg ne s’arrête pas là et ce sont à travers ses formes géométriques, ses gravures, ses pierres précieuses et ses détails complexes que le bijou Touareg nous livre un peu de son histoire et nous apporte une autre définition de la richesse, richesse avant tout immatérielle.
Plus que le bijou en lui-même, ce sont les motifs & inscriptions ,
le matériau, les techniques et la gestuelle qui vont donner de la valeur ajoutée aux créations des artisans et qui vont asseoir sa richesse, son appartenance, sa légitimité.
L’IMPORTANCE DES BIJOUX CHEZ LES TOUAREGS : RICHESSE D’UNE COMMUNAUTÉ
CHAQUE MOTIF A SON UTILITÉ*1
Les bijoux Touaregs associent géométrie, simplicité et sobriété. Malgré tout, ils sont souvent réhaussés de motifs.
1 Le bijou est souvent pensé longtemps avant en amont car il marque non seulement la signature de l’artisan (Chaque pièce est unique et est soigneusement travaillée à la main) mais est également chargé de symbolisme, porteur d’une histoire et tiré de leur environnement naturel du Sahel, ce qui élève le bijou au- delà du statut d’accessoire.
Cependant, chacun des motifs représentés loin d’être de simples ornements, ont une signification précise liée à leurs croyances, et à leurs traditions. Ainsi, avant même toute création de bijou, les détails sont pensés bien en amont*.
De nombreux motifs sont crées et dessinés pour se protéger contre le mauvais œil et les mauvais esprits ou au contraire pour favoriser la chance. Ainsi les motifs crées sur les parures font office d’amulette ou de porte-bonheur.
Il est également assez fréquent de percevoir sur les bijoux Touaregs des représentations stylisées de dunes, de constellations, d’étoiles, de nature ou d’animaux, étant donné le lien étroit que ces derniers entretiennent avec avec la nature, le cycle cosmique (astres, points cardinaux, étoiles, mouvements des astres et cycles des saisons).
Enfin, parmi les motifs récurrents que vous pouvez retrouver, figurent des symboles religieux ou spirituels, souvent les pictogrammes de l’alphabet Tifinagh ( la langue parlée et écrite par les Touaregs ). Les bijoux sont portés indistinctement par les hommes et les femmes.
Mais, un des bijoux le plus couramment porté par les hommes sont les croix. Les croix Touarègues sont au nombre de 21 et chaque région a sa propre croix (La plus connue, la croix d’Agadez également connue aussi sous le nom de Croix du Sud, on trouve aussi la croix de Tahoua, de l’Aïr, etc.).
Ce bijou traduisait auparavant, la virilité et le nomadisme. Aujourd’hui, ces dernières sont la représentation des points cardinaux du désert, des constellations de la croix du sud et symbolisent les oasis du Niger. Contrairement aux autres bijoux, la création des croix Touarègues relèvent d’un processus de fabrication spécifique.
En langue peule, Enad signifie forgeron ou artisan.
Il faut savoir que l’ensemble des forgerons Touaregs, de quelque origine qu’ils soient, sont unis par une solidarité et un respect mutuel lié à l’exercice de leur métier.
Les techniques de forge et de fabrication des divers objets et bijoux sont jalousement gardés par les artisans, uniquement transmis de père en fils, de génération en génération.
Cette transmission par filiation fait des ENADEN, les légataires de connaissances techniques ancestrales.
En ce sens, la fabrication des croix procèdent d’une technique particulière appelée la technique de la cire perdue qui existe depuis l’Antiquité.
En ce sens, les croix procèdent d’une technique particulière appelée la technique de la cire perdue qui existe depuis l’Antiquité : la cire est tout d’abord modelée pour obtenir la forme désirée. Lorsque la pièce en cire est terminée, l’Enad fabrique un moule avec le même mélange que le creuset. Il recouvre la cire avec ce mélange, tout en laissant une petite ouverture par laquelle la cire pourra s'écouler. Lorsque le moule est sec, le forgeron le place à côté du feu pour évacuer la cire. Ensuite, l'argent encore rougi par la température élevée est versé dans le moule.
Lorsque l'argent refroidit, le moule est détruit et la croix est travaillée. Ce procédé permet d’une part de maitriser des formes complexes impossibles à réaliser avec des méthodes conventionnelles, de s’appliquer à toutes formes d’alliages et d’autre part d’être utilisable autant sur des très petites pièces que sur des pièces imposantes.
Quant à la fabrication des bijoux, cela demande tout autant de savoir-faire, même si les techniques diffèrent.
Pour commencer à créer un bijou, les Touaregs font fondre l’argent dans un creuset. Une fois qu’il commence à se solidifier, il est divisé en fil, plaque ou lingot pour être martelé sur une enclume appelée « Pieu de fer » afin de donner forme au bijou.
Une fois assemblé, le bijou est poli pour lui donner son aspect brillant et fini, ciselé à l’aide de pointes fines, selon des motifs géométriques complexes puis serti de pierres précieuses ou semi-précieuses.
Pour graver les motif sur le bijou, des outils spécifiques sont indispensables. Les Touaregs ont l’habitude de fabriquer eux-mêmes leurs propres outils pour les adapter à des utilisations précises, et donner aux objets les effets désirés.
Ainsi, bien qu’ils peuvent sembler d’aspect rudimentaires, Les ENADEN ne se séparent jamais de leurs outils.
Pour donner forme à leurs créations, les outils des forgerons se servent d’enclume (Tahunt), de marteau (afadis) de masse (asawa), de pince ( ighemda) de burin (tasaghrest) et de lime (azazawa), sans oublier Le soufflet Touareg souvent constitué de bois et de poches en cuir.
Sont pris également en compte la nature des matériaux qui influent sur l’originalité et la beauté du bijou.
Dans le passé, les Touaregs forgeaient leurs bijoux dans les matières et matériaux localement disponibles, tels que le cuivre, l’étain, l’acier ou fer de récupération. Traditionnellement, le fer sert à fabriquer des outils domestiques. La maitrise du métal par les Enad est telle qu’ils connaissent plusieurs moyens thermo-chimiques pour améliorer les propriétés mécaniques du fer.
Mais aujourd’hui, la plupart des Touaregs préfèrent utiliser, pour la création de bijoux, des matières qu’ils jugent nobles telles que l’argent ou le bronze qu’ils agrémenteront de différentes pierres précieuses ou semi-précieuses ( l’agate, la Turquoise etc.).
« AVOIR LA MAIN : UNE AUTRE DÉFINITION DU BEAU CHEZ LE TOUAREG »
Les Touaregs préférant la sobriété, leur philosophie est pensée pour se débarrasser du superflu afin d’atteindre ce qui leur est finalement essentiel.
Chez les Touaregs, la beauté n’a pas la valeur d’un absolu. La beauté ou « le beau » est le résultat avant tout d’une réflexion et d’une objectivation des données.*
En ce sens, les Touaregs emploient de nombreux termes pour exprimer l’idée du « beau » car ce mot est étroitement lié aux principes qui structurent leur société. Ces derniers associent les valeurs esthétiques à leurs propres représentations sociales.
La beauté n’existe donc pas indépendamment de son contexte et elle se crée donc selon les principes de l’appartenance à la société Touarègue.
Bien sur, les compétences ont également leur impact quant à l’esthétique d’un objet. Mais chez les Touaregs, la compétence est déterminée avant tout par les techniques du corps qui serviront à l’extériorisation des critères esthétiques.
Un terme revient souvent et résume ces techniques du corps : l’AFUS.
Le terme Afus, référence Touarègue, désignant dans son sens strict la main et l’avant-bras, et dans son sens élargi le geste, don, la capacité, la prédisposition, le style gestuel lors de la fabrication.
C’est précisément ce terme qui détermine les compétences techniques (capacité à résoudre des problèmes techniques, à transformer et s’approprier un élément issu du monde de l’extérieur en lui imprimant la marque du monde de l’intérieur) et esthétiques de l’artisan joaillier. La qualité des gestes de l’artisan, impliquant tout son corps déterminera sa capacité à fabriquer un beau bijou, un bel objet.
Chaque famille a son propre style gestuel, son propre Afus qui déterminera son savoir-faire et qui lui permettra d’afficher son appartenance, de mettre en avant son ascendance ou au contraire de se distinguer.
Partager les mêmes conceptions esthétiques, une même idée du beau devient le support d’une identité. Le geste et l’appartenance de l’artisan sont, du point de vue des Touaregs à l’origine de la beauté d’un objet.
La métaphore de la main renvoie donc à plusieurs critères : sa compétence, son style et par extension à son appartenance. Les critères esthétiques sont donc en étroite relation avec la définition de l’identité touarègue.
CONCLUSION
L’activité de bijouterie est très ancienne chez les Touaregs et est pratiquée dans de nombreux lignages d’artisans dont certains ont une réputation qui va bien au-delà de leur confédération. Chez les Touaregs, les bijoux font partie du patrimoine de chaque famille.
Le bijou est un symbole de l’histoire, de la culture et de l’esprit de ce peuple nomade du désert. Chaque détail, chaque motif a une signification, traduit des messages divers et variés.
Marqueur d’identité, porteur d’une histoire, symbolique d’un monde ou d’une vision, expression spécifique de la richesse et du statut social, mais aussi symboles d’indépendance et de liberté lorsqu’ils s’en servent comme monnaie d’échange, les bijoux Touaregs s’élèvent bien au dessus du statut d’objet ou d’accessoire. Chaque inscription représente le sceau et la valeur culturelle des Touaregs, une culture qu’il faut préserver contre vents et marées.
POURQUOI ACHETER DES BIJOUX TOUAREGS ?
Tout d’abord,les bijoux Touareg sont connus pour leur qualité et leur durabilité. Les artisans locaux utilisent des matériaux de première qualité qui peuvent durer.
Les bijoux Touaregs sont souvent des pièces uniques.
Acheter des bijoux Touaregs, c’est soutenir l’économie de leur communauté, durement impactés par divers conflits auxquels ils sont étrangers.
Tradition culturelle: Les bijoux touaregs ont une signification culturelle profonde et sont un symbole de la tradition des Touaregs. En portant un bijou touareg, vous portez une pièce d'histoire et de culture sur vous.
N'EST PAS ENAD QUI VEUT!
Concernant l’argent, les Touaregs le classent en deux catégories : L’argent dit de la femme et l’argent dit de l’homme.
En effet, l’argent pur mélangé à un alliage extérieur en petite quantité conserve tout son éclat et est résistant, C’est l’argent dit de la femme.
Il faut voir dans ce parallélisme, une hyperbole de la société Touarègue : Ainsi, la femme, lorsqu’elle est pure et associée à peu d’éléments ou alliages extérieurs (étrangers, croyances pratiques), gagne en force sans rien perdre de sa beauté. La femme incarne ici, le monde de l’intérieur, la stabilité, mais aussi la continuité sociale.
Mais avec une quantité plus importante d’alliage extérieur, l’argent devient fragile et perd de son éclat. L’homme incarne une dynamique, le mouvement et donc la menace perpétuelle des éléments extérieurs.